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jeudi 19 février 2009

Rencontre journalistes-syndicats

Etats généraux de la presse:
le bilan gris foncé de journalistes syndicalistes

Emmanuel Saint-Bonnet SNJ et Marc Greiner FO


Comme l'économie mondiale, la presse écrite française est en crise. Une crise durable, structurelle, lourde. Pour tenter d'y apporter des solutions, le gouvernement a mis sur pied des Etats généraux de la presse à l'automne 2008. Les préconisations qui en ont découlé ont été rassemblées dans un « Livre vert » [consultable sur notre site http://www.clubpresse38.org/, rubrique Documentation, Liberté de la presse, ndlr] remis le 8 janvier 2009. À l'initiative du Club de la Presse et des Médias de Grenoble et de l'Isère, des journalistes syndicalistes ont été invités à débattre sur le sujet le 18 février, au Tonneau de Diogène à Grenoble.
Marc Greiner, photographe au Dauphiné Libéré, représentant de Force Ouvrière, a rappelé pour commencer que son syndicat s'était « retiré d'entrée » des Etats généraux, « car il s'agissait uniquement de mettre en musique des propositions patronales ». Selon lui, cette initiative allait dans le sens d'une « casse des journalistes et des ouvriers du Livre ». Il a d'ailleurs regretté que les syndicats de journalistes « ne pèsent pas grand-chose » pour lutter contre ce mouvement; dans les rédactions, il a constaté un « désert syndical catastrophique ».
Un constat partagé par Emmanuel Saint-Bonnet, rédacteur au Dauphiné Libéré et représentant le SNJ (Syndicat national des journalistes). Tous deux ont estimé le taux de syndicalisation des journalistes, jugé « faible », à 12%. Ce qui est tout de même au-dessus de la moyenne nationale toutes professions confondues.
Pour Marc Greiner, « ces Etats généraux passent au-dessus de la tête des jeunes embauchés, qui ne s'intéressent qu'à ce qui est dans leur gamelle ». Un désintérêt qui n'est peut-être pas l'apanage des jeunes, vu le maigre public -une dizaine de personnes- attiré par ce débat.
Emmanuel Saint-Bonnet a ensuite expliqué que le SNJ était lui « resté jusqu'au bout », même s'il n'était pas d'accord avec la manière dont avaient été organisés ces Etats généraux, rebaptisés par le syndicat « Etats généraux des patrons de presse », tant les simples journalistes étaient exclus des débats. Le rédacteur du DL a proposé une analyse intéressante du malaise actuel des journalistes. « Ils sont dans ce que les pédopsychiatres appellent « un conflit de loyauté »: « Tu préfères ton papa ou ta maman? » D'un côté, il y a la loyauté envers l'entreprise, dont le journaliste souhaite la réussite; de l'autre, la loyauté envers les lecteurs, à qui il doit une information fiable, de qualité, avec une prise de distance, une mise en perspective. Or la distorsion entre les deux est de plus en plus importante, les exigences de l'entreprise (qui pousse notamment vers le divertissement, le people) s'éloignant de celles des lecteurs. »
Marc Greiner a dénoncé la « violence des pratiques patronales, dignes du XIXe siècle ». Selon lui, « les banques vont prendre le contrôle des journaux et la profession sera sinistrée ». Sa prophétie n'est pas tombée du ciel, puisque le quotidien qui l'emploie appartient au groupe Ebra, contrôlé par le Crédit mutuel, qui en est l'actionnaire majoritaire (*). Sans aller aussi loin dans le pessimisme, Emmanuel Saint-Bonnet a reconnu que dans la presse, « le patronat a beaucoup évolué. Les médias ont été rachetés par des gens dont ce n'est pas le monde. Ils découvrent le fonctionnement des journaux et ils sont effarés. Ils veulent appliquer une logique d'entreprise qui n'est pas celle de la presse. Ils recherchent les profits, les actionnaires veulent que ça rapporte. » Il a dénoncé les dangers de la concentration des médias, de la volonté patronale de mutualiser les moyens des rédactions pour faire des économies, ce qui conduit à une diminution du pluralisme et de l'indépendance des organes de presse.
Dans la salle, Alexandre Buisine, journaliste aux Potins d'Angèle et secrétaire régional Ain/Rhône/Loire du SNJ, qui a participé aux Etats généraux (dans le groupe débattant de la concentration des médias), a refusé de dresser un tableau complètement noir. « On ne s'en sort pas si mal au final, notamment sur les seuils de concentration, dont on avait évoqué la suppression. Il n'y aura finalement rien à modifier dans la loi. C'était pourtant une commande claire du patronat avant les Etats généraux. De plus, une charte de déontologie doit être incluse dans la convention collective de la profession, alors que les patrons ne voulaient pas en entendre parler. Au total, il n'y a pas d'avancée phénoménale, mais il n'y a pas eu les reculs annoncés. La charte, c'est très important. Mais il faudra reconnaître le statut juridique des rédactions, seules interlocutrices pour signer ce texte avec le patronat. Et j'attends de voir le texte de cette charte. »
Quelle autre préconisation trouve grâce aux yeux des syndicalistes présents? Pour Emmanuel Saint-Bonnet, « sauver le livre blanc sur les droits d'auteurs est une bonne chose. Le plus positif, c'est qu'il y ait eu moins de reculs que prévus. Mais ce n'est pas fini... » Marc Greiner, lui, retiendra « les subventions de l'Etat à la presse. Il ne fait pas se voiler la face, sans ça, ce serait un carnage, la moitié des journaux disparaîtrait. »


Sébastien Dudonné

(*) Le 23 décembre 2008, le tribunal de commerce de Nancy a annulé la prise de contrôle de l'Est Républicain par le Crédit mutuel, ce qui rend l'avenir du groupe Ebra incertain selon Strategies.fr et Le Point.fr.

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