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lundi 15 décembre 2008

2e Journées du grand reportage et de la parole libre à Marseille (suite)

Maurice Szafran, PDG de Marianne : « Le problème, ce n'est pas la liberté de ton, c'est la pensée unique »


Ce n'est finalement pas une surprise. La cible de Marianne, depuis sa création en 1997, c'est « la pensée unique ». Ses journalistes la dénoncent à longueur de Unes et d'articles. Rien d'étonnant donc à ce que le PDG et co-fondateur de l'hebdomadaire pourfende une nouvelle fois ce mal moderne, apparemment si français. Pourtant, ce n'était a priori pas le thème de la conférence-débat dont il était l'invité le 13 décembre, dans la salle des séances publiques du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Face à environ 130 personnes, il devait évoquer la presse et la liberté de ton.
« L'intitulé m'a étonné, a-t-il confié en préambule. Comme si ce n'était pas forcément synonyme! Cela montre que la question doit être plus grave en France que dans les autres pays démocratiques. Je sais que la question se pose dans un univers de la presse extrêmement malade. La situation économique et financière est plus que préoccupante pour l'essentiel des journaux d'informations générales. » Avant la liberté de ton, Maurice Szafran pense que la presse souffre d'un manque de diversité des tons. Pourtant, « la question ne se posait pas il y a vingt ou trente ans », époque où des positions et des opinions tranchées séparaient, distinguaient, opposaient quotidiens et hebdomadaires. Des divergences sur des questions de fond entraînaient des scissions et des créations de magazines (Le Point et Le Nouvel Observateur lancés par d'anciens journalistes de L'Express). « Aujourd'hui, il est presque mal élevé de poser des questions de fond. » Selon Maurice Szafran, « le paysage journalistique est uniforme et, pour les lecteurs, sans intérêt. Il y a une ligne, tout le monde pense pareil. C'est le triomphe économique, politique et culturel du néolibéralisme. La presse toute entière s'est engouffrée dans ce discours, à de très rares exceptions près. Le problème, ce n'est pas la liberté de ton, mais la pensée unique, la pensée conformiste. Les lecteurs ont donc quitté le journal unique, l'hebdo unique. »
Le patron de Marianne a donc, en un même mouvement, balayé le sujet de la conférence et trouvé la cause de la crise de la presse! Dommage, il aurait été intéressant d'évoquer les pressions du pouvoir politique sur les rédactions, l'influence des annonceurs sur la couverture des événements et l'écriture des papiers, les rapports compliqués entre le journaliste et ses sources, l'auto-censure du rédacteur (inconsciente, consciente ou commandée par sa hiérarchie), le suivisme des rédactions qui s'épient les unes les autres et finissent par toutes traiter les mêmes sujets de la même manière...
Jean Kéhayan, le président du Club de la Presse de Marseille, a bien essayé de revenir au sujet en parlant de la situation locale, du « village » marseillais où journalistes et décideurs se connaissent bien, se tutoient, et où au final il est difficile d'émettre un avis critique, à moins d'être un envoyé spécial d'un quotidien ou d'un hebdo parisien.

Les Etats généraux, « un piège absolument terrible »

Mais Maurice Szafran a continué sur sa ligne, l'animatrice de la conférence-débat, Isabelle Staes (France 2) ne jouant malheureusement pas son rôle. Néanmoins, il a apporté quelques éléments de réflexion sur la situation actuelle de la presse écrite, qui ont rejoint en partie les constats faits par Edwy Plenel le 11 décembre (voir par ailleurs). Pour les deux journalistes, « il n'y a pas de crise de la demande, mais une crise de l'offre ». « Nous sommes tous au pied du mur, il va falloir repenser totalement notre façon de faire du journalisme. Sinon, des journaux vont disparaître dans les mois et les années qui viennent. Il y a un problème de qualité des journaux. Soit on change, soit on disparaîtra. Il faut être plus pédagogique, plus proche des attentes des lecteurs. »
Et les Etats généraux de la presse? « C'est un piège absolument terrible dans lequel le Président tente de nous faire tomber et ça peut marcher. Nicolas Sarkozy est convaincu que le sauvetage de la presse passe par la création de deux ou trois grands groupes aux mains de Lagardère, Bouygues ou Bolloré -qui sont des proches du Président. Les Etats généraux sont une machine à faire sauter les seuils [de concentration des médias, fixés par la loi, ndlr]. Le reste, c'est du baratin.Nous n'avons pas su créer des groupes industriels de presse, ce qui explique que presque tous les journaux se retrouvent sans capitaux. Mais ces groupes (Bouygues, Lagardère) ne sont pas des groupes de presse, ils vivent en partie de la commande publique et vont utiliser la presse pour le reste de leurs affaires. »
Et Internet? « On y trouve le pire et le meilleur en termes d'infos. On peut y faire courir une rumeur à travers le monde à une vitesse énorme sans pouvoir la rattraper. Mais cela permet aussi de faire savoir des choses beaucoup plus vite. L'ensemble des sites d'information générale de la presse écrite coûte beaucoup d'argent et il n'y a aucune perspective d'équilibre. On ne sait pas si ce sera un jour le cas. »
Et si on revenait au sujet? « Les journalistes ne peuvent pas être du même monde que les gens dont ils parlent. Il faut dresser un mur. On ne peut pas sortir avec eux, partir en vacances avec eux... Il faut une séparation. C'est l'un des grands problèmes de ce métier: c'est un métier de petits bourgeois, avec des salaires de petits bourgeois, qui passent leurs journées avec des gens de pouvoir et des gens riches. » Et si on augmentait les salaires des journalistes?




Isabelle Staes (France 2), Maurice Szafran (Marianne) et Jean Kéhayan (président du Club de la presse de Marseille).

texte et photo: Sébastien Dudonné

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